Dîner de gala des 25 ans de l'AJFE

Discours de M. Carlos Ghosn, promotion 1971, président de Renault et de Nissan

Révérends Pères, Excellences, Mesdames et Messieurs, Chers camarades, Chers amis,

J’ai le même âge que le collège, comme toute la promo 71 d’ailleurs.

A la pose de la première pierre, en 1950, le Père Jacques Bonnet-Eymard assignait comme ambition au futur établissement qui succéderait à celui de Beyrouth un programme fondé sur la fidélité aux traditions et la nécessité des changements pour préparer le futur, dans un équilibre, je le cite : « entre la stabilité acquise du passé et les inventions imprévues de l’avenir.

  • Donnons à nos enfants l’air, l’air vivifiant de la montagne dont ils ont besoin pour leurs poumons (…) pour se faire des muscles fermes et un corps souple qui sera le docile instrument de leur activité d’hommes. (…)
  • Donnons aussi à nos enfants la paix et le calme dont ils ont besoin pour leur travail de réflexion (…) dans la sérénité que dégage la montagne. (…)
  • Et enfin dans ce cadre de lumière et beauté, (…) l’enfant se formera spontanément à goûter ce qui est grand, ce qui beau et ce qui est lumineux ».

La traduction de ceci s’est affirmée par une option courageuse et résolue pour l’humanisme classique et la culture moderne.
Vision stratégique ambitieuse, doublée de l’excellence de l’exécution. Comme pour une entreprise performante.

Qu’avons-nous appris à Jamhour ? Comment s’est donc passée   cette déclinaison de la mission aux résultats ?

Dans un supplément du Nous du Collège de septembre 1986, le Père Jean Dalmais, ici présent ce soir, dresse le panorama des traditions pédagogiques d’un collège jésuite. Il identifie trois caractéristiques principales :

  • Eveiller l’intelligence
  • Former la volonté
  • Ouvrir à la charité

Car il s’agit bien en effet de former des hommes, au sein d’une communauté vivante et fraternelle.
Des hommes complets, sans qu’une dimension puisse écraser l’autre.
Ceci représente aussi un projet ambitieux de former des élites à la fois intellectuelles et morales. Pour le pays qu’ils vont servir, ou pour le vaste monde dont ils seront citoyens.

Et c’est dans cet esprit que nous avons été élevés : une exigence d’excellence, destinée à faire de nous des hommes libres et responsables.
Concrètement ? Nos maîtres, avec détermination et courage, parfois fougue,

  • nous enseignaient le superflu en sus du nécessaire, le thème latin en plus des mathématiques, et le ciné-club après la littérature,
  • nous apprenaient à privilégier les têtes bien faites plutôt que bien pleines,
  • nous incitaient à assumer tout l’humain dans l’homme,
  • nous inspiraient le goût de l’effort, du travail et de la recherche,
  • nous inculquaient que le sens de l’honneur était un stimulant plus puissant que la peur du châtiment,
  • nous faisaient l’apprentissage d’une émulation saine et de bon aloi dans un climat de solidarité optimiste.

Pour ma part, je leur dois en particulier :

  • le sens de la discipline et de l’organisation,
  • le goût de la compétition,
  • l’amour du travail bien fait,
  • et l’ouverture aux autres, surtout quand ils sont différents.

Et c’est ainsi que nous sommes devenus des hommes, libres et responsables.

Je souhaite profiter de cette occasion pour remercier les Pères jésuites, qui ont consacré le meilleur d’eux-mêmes à nous éduquer et à nous aider à nous élever.
Le Père Jean Dalmais fut notre préfet puis notre recteur entre les années 1963 et 1971 où nous étions jamhouriens. Il nous fait l’amitié d’être des nôtres ce soir.
Aussi, je veux devant lui citer, avec affection et bienveillance, les noms des Pères Bernard Charvet, Robert Clément, Jean de Guillhermier, Henri de Lagrevol, Bernard Mathieu, Albert Mayet, Frantz Ramsperger. Ils nous ont précédés auprès du Père.
Je veux aussi citer le nom du Père Camille Héchaimé, qui est très souffrant.
Grâce à eux, nous sommes ce que nous sommes. Ici et maintenant.

Comment avons-nous fait fructifier ce capital éducatif ? Nous avons visé d’accomplir notre destin d’homme libre et responsable.
En identifiant d’abord nos talents. Puis en les développant. Sans arrogance ni paresse, mais avec détermination et conscience.
Président de la République ou bien serviteur de l’Etat. Chef d’entreprise, médecin ou chercheur. Avocat ou bien écrivain.
Chacun à notre place, nous sommes des décideurs. Nous avons été formés à discerner et à faire des choix. Et aussi grâce à la pédagogie de l’action : quand une décision est prise, on la déploie. Et on réussit parce qu’on y a mis les moyens.

Pour ma part, comme vous le savez, sur la lancée de mes années à Jamhour, j’ai tenté mon chemin. Rien n’était planifié d’avance, sinon la volonté d’aller au bout de moi-même.

Mon parcours n’a été ni rectiligne ni tracé d’avance, mais au contraire ouvert aux opportunités. Pour cela, il me fallait deux guides :

  • le désir d’accomplir une mission et d’élever la frontière, mes propres frontières, c’est-à-dire viser le meilleur ;
  • le besoin de toujours garder ouvertes les portes de la vie, c’est-à-dire de conjuguer confiance et tolérance.

C’est encore ce qui me guide aujourd’hui comme patron de l’Alliance Renault Nissan. Les acquis appris à Jamhour me sont extrêmement précieux. Ils permettent de se rappeler que la performance durable doit demeurer la clé de voûte.

Le modèle de l’Alliance et sa longévité sont uniques en leur genre, pas seulement dans le secteur automobile, mais dans le secteur industriel en général.

Créé en 1999, c’est à ce jour le seul partenariat stratégique qui se soit révélé aussi durable.

L’Alliance est aujourd’hui le quatrième constructeur automobile mondial. Elle est implantée dans plus de 120 pays. Elle compte 430 000 salariés, qui produisent chaque année plus de 8 millions de voitures, ce qui représente 1 voiture sur 10 vendue dans le monde.

Son chiffre d’affaires cumulé atteint près de 160 milliards de dollars, un montant comparable au PIB de l’Equateur ou de l’Angola.

Nous avons développé des collaborations stratégiques avec plusieurs autres constructeurs, notamment l’allemand Daimler, ou le japonais Mitsubishi.

Dans le secteur automobile, nous avons été les premiers à nous développer dans des nouveaux pays émergents comme la Birmanie ou le Nigeria.

L’Alliance est également un constructeur responsable, soucieux de développer une mobilité durable sur le plan environnemental.

Nous sommes le seul constructeur à proposer une gamme complète de véhicules 100% électriques à un prix abordable.

Sur ce marché, nous sommes numéro 1 dans le monde, grâce à nos 2 véhicules emblématiques: Nissan LEAF et Renault Zoé.

Vous le voyez, l’Alliance est une réalité bien concrète, qui a permis à chaque entreprise d’obtenir des résultats qu’elle n’aurait pu atteindre seule. Ensemble, nous développons également la voiture autonome et la voiture connectée.

Pourquoi l’Alliance Renault-Nissan a-t-elle réussi là où tant d’autres partenariats ont échoué ?

L’Alliance, c’est d’abord, comme à Jamhour, un état d’esprit, une manière de travailler ensemble.

Nous sommes pragmatiques, nous apprenons continuellement de notre collaboration.

Et surtout, nous avons toujours respecté l’identité et la culture de chacun. C’est l’élément indispensable.
C’est d’ailleurs cette spécificité qui a convaincu le constructeur russe AVTOVAZ de nous rejoindre.

La plupart du temps, dans ce type de situation, il y a un gagnant et un perdant.
Là, ce n’est pas le cas. Nous nous respectons, et nous nous apportons des bénéfices mutuels :

  • Des économies d’échelle considérables aussi bien en matière de développement que de fabrication (plateformes communes)
  • Partage de bonnes pratiques et saine émulation entre nos usines
  • Regroupement des achats et diminution de leur coût
  • Rééquilibrage mutuel dans les moments de crise (récession en Europe, tsunami au Japon, etc)

Nous avons ainsi inscrit le respect des cultures et l’ouverture à la diversité au cœur de l’Alliance. C’est aujourd’hui la clé de son succès et de sa pérennité.

Sa performance durable repose sur la force de ces principes internes. Elle dépend également des liens harmonieux et équilibrés que l’Alliance entretient avec le monde qui l’entoure.

En tant qu’acteur économique mondial, l’Alliance se doit d’agir de manière responsable vis-à-vis de ses employés et actionnaires, bien sûr, mais également vis-à-vis de ses partenaires. Dans notre cas, aux 430 000 salariés directs de l’Alliance, il faut ajouter environ 3 millions d’emplois indirects, créés notamment chez les fournisseurs et les concessionnaires.

Responsables, nous le sommes aussi à l’égard de notre planète – celle dont nous tirons nos ressources et celle que nous laisserons à nos enfants. Soucieux de développer une mobilité durable sur le plan environnemental, nous sommes aujourd’hui le seul constructeur à proposer une gamme complète de véhicules 100% électriques à un prix abordable. Sur ce marché, nous sommes numéro 1 dans le monde, grâce à nos 2 véhicules  emblématiques: Nissan LEAF et Renault Zoé.

La grande entreprise n’est pas seulement un acteur économique. C’est aussi un acteur « politique », au sens étymologique du terme. La polis grecque, c’est la cité. Et une entreprise s’inscrit de plain-pied dans la vie de la cité et de ses citoyens. A cet égard, l’Alliance Renault-Nissan s’est engagée dans de nombreuses actions éducatives et sociales :

  • Le groupe Renault compte par exemple 5 fondations à vocation éducative en France, en Espagne, au Brésil, en Argentine, et en Colombie.
  • Nous avons également mis en place une Chaire multidisciplinaire de Management de la Sécurité Routière, en partenariat avec l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
  • De son côté, le groupe Nissan est partenaire de l’ONG Habitat for Humanity, dont il finance des missions au Myanmar, au Vietnam, en Thailande, et en Indonésie. Il finance des actions de long-terme, comme au Japon suite à la catastrophe de Fukushima, ou en Chine suite au tremblement de terre qui a ravagé le Yunnan en août 2014.

Ces exemples ne sont bien entendu pas exhaustifs. Mais ils témoignent de notre souci de concilier notre performance avec le respect des grands équilibres sociaux et environnementaux, au sein d’une même collectivité humaine.

Cette recherche du bien commun fait clairement partie du devoir de responsabilité de toute grande entreprise.

Mais il va sans dire que c’est également la responsabilité de chacun d’entre nous, et cela, je l’ai appris à Jamhour.

En octobre 1963, installé, entre inquiétude et excitation, dans l’autocar Scania Vabis bleu pour monter à Jamhour pour la première fois, je ne me doutais pas des transformations que je vivrais en huit ans.
Il n’était certes pas écrit que je dirigerais aujourd’hui Renault et Nissan, mais il était quasiment écrit, grâce à la méthode employée, que j’apprendrais à regarder vers le haut, « ce qui est grand, beau et lumineux », selon les mots du Père Bonnet-Eymard.
Pour aller au-delà de soi et se dépasser. C’était la mission que nous avaient assignée nos maîtres jésuites. C’est celle qu’à notre tour nous confions à nos enfants.

Enfin, je ne peux finir sans parler d’amitié. En effet, chers camarades, les amis que nous nous sommes faits au Collège, ils le sont pour la vie – c’est mon cas, et sans aucun doute aussi le vôtre.

Je vous remercie pour votre attention.

 

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