Discours prononcé par Hubert Khalifé lors du dîner des promos 76 à 85

Cher Nagy, Chers amis,

Ce soir, ce n’est pas le sifflet du surveillant qui nous rassemble. Ce n’est pas, non plus, cette interminable sonnerie qui retentissait dans le collège, et que tout le village de Jamhour pouvait entendre.

Pourquoi, alors, avez-vous répondu à l’invitation ? Certains diront que c’est par nostalgie. Ils n’ont pas tort. En effet, le temps est indulgent, et résume toujours le passé par ses rires, ses émotions et ses succès. Il éclipse les bagarres féroces, les angoisses des examens, les terreurs que savaient susciter quelques profs, ou la panique que provoquait une convocation chez le Préfet de Discipline, du moins pour ceux qui ont vécu ce vestige des collèges de Jésuites des siècles passés. Oubliés, ces cours mornes par un temps lugubre ? Ils étaient pourtant aussi formateurs qu’un bon match de basket ou qu’une de ces messes à la fois sobres et somptueuses dont nos révérends pères ont le secret.

D’autres, plus francs peut-être, diront que ce n’est pas la nostalgie qui les a poussés à dire oui à cette rencontre, mais la curiosité. « Que sont mes amis devenus ? », demandait le poète. La question amère, hélas, est plus belle que sa réponse. Car cette réponse est amère, mais sans poésie : mes amis et moi-même avons vieilli. Sauf nos compagnes et nos anciennes camarades, bien entendu, jeunes et belles à jamais…

Mais regardons bien ; il y a quelque chose, en chacun de nous, qui n’a pas changé : c’est le regard. Et même, il permet de reconnaître l’ancien camarade parmi des milliers. Non pas que le regard reste jeune, mais parce qu’il est déjà adulte dès la prime enfance. Donc au-delà de toute nostalgie, de toute curiosité, il s’agit de retrouver ces regards qui ont peuplé nos premières années, notre adolescence, ces miroirs de l’âme qui ont contribué à façonner l’adulte que chacun de nous est devenu.

Soyons encore plus francs : l’expérience peut être émouvante, mais elle est surtout troublante. Elle est plus utile qu’agréable. Pourquoi ? Parce que les prêtres qui nous ont formés nous ont surtout appris la profondeur. Non pas en rejetant le superficiel, démarche sèche et janséniste, mais en le séduisant, en l’utilisant pour accéder à l’essentiel. Tous les collèges produisent des politiciens, des ingénieurs et des médecins. Nos formateurs, eux, ont toujours suivi leur premier général : Ignace de Loyola, l’aristocrate qui a quitté le château de ses ancêtres pour construire le château de son âme.

Il faut passer par l’étape intermédiaire : la noblesse du savoir. Mais elle n’est qu’intermédiaire. Au-delà d’une éducation à la fois ouverte et soignée, ils nous ont indiqué, chacun, par leurs différences bien plus que par l’uniformité, la noblesse de l’amour. L’avons-nous atteinte ?

De tout cœur, au nom de l’AJFE, je vous souhaite une belle rencontre et un excellent dîner.

 

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